Quels liens entre la pratique du shiatsu et la méditation ?
Auteur : Publié le 15/12/2019 à 15h21 -Beaucoup d’articles et bien des échanges d’opinions voient le jour autour du Shiatsu aujourd’hui et c’est tant mieux. Chacun essaie de pratiquer au plus juste, d’autres d’en comprendre l’histoire, d’autres encore cherche la meilleure façon d’aborder le corps décrit par le système des méridiens. Il est bon d’être un thérapeute complet, bien assis dans sa posture, œuvrant avec une bonne main et ayant bien assimilé les lois fondamentales de la Médecine Orientale.

Le Shiatsu est une discipline qui requiert un engagement complet et c’est bien pour cela que nous aimons tant la pratiquer.
Mais une chose est rarement abordée car la question ne coule pas de source.
« Qui pratique ? Qui donne le soin ? À qui appartiennent ces mains qui se posent? Dans quel état d’esprit est le thérapeute ?»
Il sera donc ici question de pratique intérieure, de progresser, non plus dans la technique extérieure ni même en ouvrant des ouvrages savants mais en allant vers la profondeur. Dans la pureté du Cœur.
« Donne plus que tu ne peux reprendre.
Et oublie.
Telle est la voie sacrée »
René char
Je m’en souviens comme si c’était hier, il y a de cela quelques années certains étudiants de notre école s’en étaient allés à Bruxelles assister à un stage donné par un maitre Japonais de Shiatsu réputé et leur retour était éloquent.
Stage intéressant, riche, instructif mais où était le « Corps de plume », où était la « Main de Souffle » me dirent-ils ? Où était l’âme du Shiatsu ?
Ce maître ne se cachait pas de ne travailler que sur le corps physique et de laisser les choses spirituelles aux professionnels de la question. Pour lui, seule la cessation du symptôme importait et c’était là sa principale motivation.
Il fallait répondre à la demande, être efficace! Et il l’était !
Alors un grand doute survint dans mon Esprit : Avais-je le droit et la légitimité pour transmettre les notions qui étaient chères à mon cœur et au travers desquelles j’exerçais déjà depuis de nombreuses années ?
Un grand silence se fît en moi, je me suis assis et l’esprit de la méditation est venu comme à son habitude laisser décanter les choses.
Et une voix parla « Retourne aux sources de cette médecine et tu verras bien que tout y est clair »
La source fut le Su Wen, bible des acuponcteurs, et ses 11 premiers chapitres où Qi Bo répond aux questions de Huang Ti, l’empereur Jaune et que je voudrai bien commenter avec vous.
Dans le chapitre 1 du livre 1 nommé : « De la pureté naturelle dans la haute antiquité » Huang Di questionne Qi Bo et celui-ci répond :
« Obéissant au Dao les anciens se modelaient su le Yin/Yang …
Ils étaient modérés dans leur alimentation, ils évitaient le surmenage, se gardaient de détériorer leur corps et leur esprit se permettant de vivre un siècle.
Les gens d’à présent n’agissent plus de même, ils se gavent d’alcool sont téméraires et luxurieux…
Les sages de la haute antiquité apprenaient à chacun à éviter à temps les perversions d’épuisement et à maintenir par le calme et la concentration leur souffle naturel dans la docilité, à bien contenir leur esprit à l’intérieur de telle sorte que les maladies soient sans prise.
Grâce à la restriction des appétits et la « contention des velléités, le cœur demeure paisible et sans émoi, le corps travaille sans s’épuiser, le souffle suit un cours régulier et chacun d’eux est satisfait… »
Au Chapitre 3 il est dit : « La paix du cœur, confirmant la sérénité du temps entretient la fermeté du Yang et rend inoffensives les perversions externes, si pirates soient –elles. Selon le calendrier, les Sages soumettent leur propre souffle vital au souffle céleste et le mettent ainsi en continuité avec les Esprits. »
Comment cultiver cette paix du cœur qui prévient même les attaques climatiques? Comment soumettre son souffle vital au Souffle du Ciel ?
Comment entrer en continuité avec les Esprits ?
Est-ce encore d’actualité ? Est-ce intéressant pour un soignant ?
Là commence le travail intérieur et la méditation prend ici tout son sens. En effet, un praticien aussi savant et efficace qu’il soit, ne peut ignorer ce travail du dedans où il puise sa force, son calme et sa présence, où tout semble être soudain absorbé par la profondeur de l’intérieur.
Les adages du Qi Gong résonnent soudain : « On entend sans écouter, on voit sans regarder, on sent sans toucher, on accomplit sans agir. »
Si c’est toujours de la médecine, c’est plus encore de l’art médical, un art de vivre ancestral, l’art de nourrir la vie (Yang Sheng Gong).
Mais comment accède-t-on à ces espaces intérieurs et pourquoi le faire ?
Quel est le rapport entre le soin et la méditation ?
Personne ne sait comment est née la science des méridiens dits d’acuponcture mais une chose est sure c’est que les points et les trajets n’ont pas été découverts de manière empirique, le système est bien trop complexe pour cela. Certains pensent, et je suis de cela, que tout a été vu de l’intérieur par les Maîtres de la haute antiquité et ce depuis des temps immémoriaux.
Et cela est déjà consigné dans le fameux Su Wen.
Il en est de même en Inde avec les 72 000 nadis !! Ida à gauche, Pingala à droite qui en fournissent 36 000 chacun et le vaisseau central Sushumna qui ressemble tant au vaisseau conception (Ren Mai) de la médecine chinoise.
Les maîtres des Upanishads sont appelés les « Rishis », les Voyants, ceux qui avaient l’accès à la clairvoyance et à la conscience pure.
« Tat Twam Asi » : Tu es Cela ! Pas ce corps de chair et de sang mais ce corps de souffle ne subissant pas les outrages du temps. Tout ce qui est soumis au temps ne peut être réel !
Corps de plume du Qi Gong, corps subtil des Tibétains, corps arc en ciel des Aborigènes, corps de gloire des chrétiens.. Main de souffle du Shiatsu.
Habiter ce corps, c’est penser l’univers !
Voilà pourquoi le Su Wen parle de l’antiquité comme d’un temps béni où les Sages étaient les rois du monde. Mais ce monde n’est pas un monde lointain dans le temps mais profond en chacun de nous et donc à une certaine distance de la mondanité de toute les époques. Il y a toujours eu le mondain, tourné vers le dehors et le sage, tourné vers le dedans.
Quand le Su Wen dit « Chacun est malade à sa manière de cela le médecin doit toujours tenir compte » l’idéogramme peut se lire aussi comme le sage (le sage médecin car il est un homme de réflexion et d’intériorité)*
Quand Héraclite au 5éme siècle av JC décline le très fameux « On ne traverse jamais deux fois le même fleuve » il saisit l’impermanence des choses, il a son esprit tourné vers l’intérieur et les Taoïstes l’ont nommé « le renversement du regard.»
Médecine et méditation ont donc bien la même racine
Fermer les yeux à l’extérieur, ouvrir les yeux à l’intérieur, voir avec les oreilles car elles n’ont pas de paupières !
Dans tous les exercices de Dao Yin, de Qi Gong authentique, il est recommandé ce renversement existentiel sans lequel la discipline est vouée à la seule superficialité et n’amenant aucune transformation profonde et pérenne.
Et c’est bien à ce même endroit qu’il faudra toucher et rencontrer notre futur patient.
Dans notre Occident Chrétien les moines du Mont Athos ont pérennisé l’enseignement des pères du désert que l’on nommait Hésychasme (dont l’étymologie Hesychia signifie « repos, calme, silence »). La Grèce est la partie la plus orientale de l’Occident, elle n’est pas si loin du Moyen Orient et on sent poindre des accents venant du soleil levant :
Méditer comme la montagne,
Méditer comme le coquelicot,
Méditer comme l’océan,
Méditer comme l’oiseau,
Méditer comme Abraham et Méditer comme Jésus pour finir bien sur… »
Jésus le Nazaréen lui-même considéré comme le maître des guérisseurs et ce, même chez les musulmans (nommé Isa) et les sages de l’Inde.
Parmi les premières communautés chrétiennes en Palestine une prière sous forme d’acclamation citée dans l’épitre aux Corinthiens (1Co16, 22) était psalmodiée (comme un mantra) en Araméen pendant de très longues périodes dans la journée : « Maranatha, Maranatha, Maranatha… »
Ce qui signifie « Seigneur viens ! » Ainsi la prière du cœur devenait la prière du corps.
Il fut un temps où aucune séparation n’existait en médecine et spiritualité.
Le chirurgien royal du 16éme siècle, Ambroise Paré, le père de la chirurgie (1509-1590) eut cette si belle réplique : « Je panse mes malades, Dieu les guérit ». Les hommes de cette époque avaient parfaitement conscience que quelque chose de plus grand œuvre dans l’invisible et l’indivisible et qu’ils en sont les messagers et les serviteurs.
Jusqu’au 14éme -15éme siècles, avant même « les Lumières », le plus noble but de l’homme était la contemplation, l’absorption en soi-même, le détachement du monde.
Mais en quoi tout cela nous interpelle-t-il, nous, Shiatsushi ?
Tourner le regard vers l’intérieur et s’assoir en quiétude ouvre des espaces dans le corps puis dans la conscience et c’est dans ce même espace que le patient sera accueilli, recueilli, entendu. La profondeur manifeste que l’on crée dans l’assise, entre le soi-intérieur- et le monde-extérieur- va immédiatement être un espace d’accueil et de compassion pour le receveur en souffrance ou en demande de mieux être. Il n’y a plus à faire mais seulement à être !
Et là un nouvel univers est perceptible que l’on peut nommer « Guérir en soi. »
Prendre l’autre en soi afin qu’il ne devienne plus cet autre coupé de moi mais qu’il forme avec moi un tout indivisible et ceci n’est possible qu’au travers du corps de souffle (corps de Qi) éveillé par la méditation et le silence.
Masunaga sensei le nomme très bien en précisant que là est la sève de notre art manuel, son essence véritable et que nous n’avons pas besoin de maître dans la pratique du Shiatsu, notre patient est notre seul maître. Béni celui qui a pu sentir cela, il a fait l’expérience de la non séparation !
Masunaga est un seigneur du Shiatsu !
Okuyama sensei, le vénérable soke sensei, rencontré au Japon en 1981, qui a fondé l’école de la 8éme lumière, martiale et médicale, nous demandait d’œuvrer avec la force invisible de la radiation de l’ultraviolet, celle qui est au-delà du spectre de l’arc en ciel avec ses 7 radiances. Au-delà du violet c’est bien l’ultraviolet, radiation certes invisible mais bien plus puissante que celles du visible.
Dans les textes anciens le vieux Taoiste zhuang Zi est aussi limpide sur ce point:
« Soi-même est aussi l’autre
L’autre est aussi soi-même
Que l’autre et soi-même cessent de s’opposer
Voilà le pivot du Tao »
Et si nous, praticiens, nous devenions Taoïstes à la manière à laquelle nous y invite Zhuang Zi. Tout deviendrait alors différent, ce n’est plus soigner qui nous importerait mais rencontrer cet autre qui ne serait plus autre et que nous sentirions en nous. Comme le dit le moine Zen Thich Nhât Hanh on devrait inventer le verbe « inter-être » car nous « inter-sommes » en permanence.
« Nul n’est une île » a pu dire en son temps le mystique Thomas Merton.
C’est uniquement une illusion née de l’identification au seul corps physique.
Les espaces découverts dans la méditation du matin sont de facto disponible à cette rencontre d’être à être. Voilà le « I shin den shin » du Zen Japonais. De mon cœur à ton cœur j’ai effacé la distance illusoire de deux corps séparés et c’est par le corps de souffle que cette union se fait.
Voilà pourquoi, lors de nos stages de fin d’étude, dans notre école de Shiatsu, après avoir vécu nous-même la fameuse méditation Vipassana, nous avons cru bon d’instaurer une pratique d’assise silencieuse soir et matin, afin de sentir cette relation avec le cœur du cœur.
Dans le Noble Silence s’éveille la conscience.
Il est mon stage préféré (Et je ne suis pas le seul de cet avis!)
Méditer c’est aller au centre de soi-même, c’est ouvrir la porte de ce mystère.
C’est aussi se dénuder et accepter ses fragilités qui ne sont pas faiblesses.
C’est enfin connaitre et non plus seulement savoir.
C’est aussi être sincère (dont la racine latine sine cera signifie sans cire)
Voici ce que dit le sage de l’Inde :
"Tout ce qui bouge finira par s'épuiser. Seul ce qui est immobile durera pour toujours. La méditation essentiellement, c'est d'aller vers cette immobilité, de devenir comme le cœur de l'existence."
D’une manière très prosaïque on pourrait dire aussi que l’espace conquis par la paix et le silence est de facto disponible dans le soin et c’est dans ce lieu ouvert au dedans que ce sera entendue et recueillie la plainte du patient.
On entend alors avec les oreillettes… !
On peut affirmer de la même manière que chaque pression qui émane du cœur du ventre quand elle est bien dispensée est aussi en relation avec ce calme profond cultivé pendant la méditation.
La qualité du soin s’en ressent et ça ne trompe pas. La paix parle à la paix car comme le dit le Sage Indien Sri Nisagardatta Maharaj « Seuls méritent la paix, ceux qui ne la troublent pas »
Toute maladie, tout désordre est vu comme un dérangement de la paix profonde : Voilà comment les anciens ont perçu les choses et nous répéterons la phrase mentionnée plus haut :
Les sages de la haute antiquité apprenaient à chacun à éviter à temps les perversions d’épuisement et à maintenir par le calme et la concentration leur souffle naturel dans la docilité, à bien contenir leur esprit à l’intérieur de telle sorte que les maladies soient sans prise.
Le message est bien clair : alors quand on donne des conseils et des recommandations à nos patients affaiblis n’oublions -pas de leur recommander 10 mn d’assise en quiétude le matin ...et plus si affinité… !
« Vous voulez échapper à la maladie ? Ne vous échappez pas de vous-même ! »
« Une fois tout cela admis, installez-vous bien confortablement et ouvrez la tête au Ciel et sentez bien la Terre sous vos pieds, reliez-vous à votre souffle qui va et qui vient en essayant de ne pas le contrarier, ce qui n’est déjà pas une mince affaire. »
Toutes les sensibilités sont les bienvenues dans la maison de la méditation : Prière du cœur, Hésychasme, Zen, Chan, Tibétains, Advaita védanta Indien, shivaïte du Cachemire, Vipassana, Mindfullnesss (Pleine Conscience)…
Si la méditation Mindfulness a tant de succès aujourd’hui c’est qu’elle est simple, qu’elle a emprunté au Bouddhisme son modus operandi et qu’elle répond à un besoin de la société moderne qui va trop vite et qui ne laisse pas de temps de repos et de calme. Tous les praticiens-nnes que nous sommes, aurions intérêt à initier nos patients à ces techniques et à les pratiquer nous-mêmes pour être crédibles et sincères. Et aussi plus efficaces.
A vous de trouver votre sensibilité en accord avec l’enseignement, yeux ouverts, yeux fermés, yeux entrouverts, psalmodier les mantras ou faire rouler les doigts sur un mala… Tout est prétexte à donner un focus au mental afin qu’il lâche prise dans son emprise.
Si vous voulez être un thérapeute accompli il faut aussi savoir poser les livres et apprendre par corps car « ce qu’on ne comprend pas dans notre corps on ne le comprendra nulle part ailleurs » disent les Upanishads de l’Inde.
La méditation cherche Satva, l’état d’équilibre entre torpeur et agitation, entre Tama (inertie) et Raja (agitation) comme on le dit en Inde. Une autre manière de parler du Yin/Yang n’est-ce pas ? Une fois Satva installé, une présence calme, stable et bienveillante s’installe en nous et c’est avec cette même présence que nous allons nous pencher sur notre receveur dans le soin.
Ceci effectué, faire disparaitre le sens notre individualité afin que nous devenions des personnes qui ne soient plus personne.
« Laisse seulement subsister ce fragment de moi par lequel je puis t’appeler mon Tout » déclame le poète Bengali Tagore.
La bienveillance effacera le sens de la séparation et deviendra compassion.
La clairvoyance irradiera comme le reflet de la lune dans un lac immobile et quel que soit le problème à régler et le symptôme à traiter tout sera plus facile.
Alors méditons dès à présent: pour soi, pour l’autre, pour l’être, pour un bon soin profond, pour un cœur léger, pour un mental apaisé, pour un corps ressourcé, pour toutes les émotions fluidifiées…
Pour un monde pacifié.
Bernard Bouheret
Triple est le rythme de la Vie :
Prendre, donner, s’oublier…
Telle est la voie sacrée !
En savoir plus sur Bernard Bouheret
*Note : La racine latine medicus signifie médecin. À l’origine, la racine indo-européenne med- exprime l’idée de mesure et d’ordre. On la retrouve dans des mots comme méditer, modéré, module. Le médecin est donc un homme mesuré et sage, tradition que l’on retrouve dans le serment d’Hippocrate. Les anciens chinois ne s’y sont pas trompés.
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