Bernard Bouheret, un Maître engagé et passionné au service des shiatsushi
Auteur : Publié le 12/12/2018 à 09h44 -Antoine Di Novi, Rédacteur en Chef de https://www.shiatsu-france.com, a interviewé en ce mois de décembre 2018 Bernard Bouheret, célèbre praticien et enseignant en shiatsu, et, auteur de plusieurs ouvrages. L'entretien s'est déroulé assis sur une moquette confortable dans la salle de soin du cabinet situé Boulevard Arago à Paris.

Entretien avec Bernard Bouheret
Antoine Di Novi : Bernard Bouheret bonjour, merci d'accorder un entretien à https://www.shiatsu-france.com
Bernard Bouheret : Bonjour,
ADN : Vous m'avez invité en avant entretien à utiliser le tutoiement. Donc, nous sommes ici dans ton cabinet parisien. L’idée est de parler de toi, de ton parcours. Est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ?
BB : Très bien, je suis à la fois kinésithérapeute et praticien de shiatsu, enseignant aussi. J’ai commencé le shiatsu en 1977 à Montpellier (cela nous rajeunit pas !) donc plus de 40 ans après aussi mes études de kiné.
En même temps entre 18 et 21 ans j’ai fait des études en sciences économiques qui ne me correspondaient pas. J’ai alors fait un voyage en Afrique et lors de ce voyage il y a eu une rencontre phénoménale. On peut dire que je suis parti paumé et je suis revenu complétement dans l’axe avec l’injonction de devenir soignant. C’est la rencontre avec un « blanc » dans les hauteurs de Yaoundé au Cameroun, qui était guérisseur et qui m’a demandé de l’être moi aussi en quelque sorte. Donc je rentre du Cameroun et tout va mieux. Je croise un ami qui me donne un flyer de shiatsu et je décide de me rendre dans un dojo où je vais rencontrer Thierry Riesser-Nadal à l’époque le fils spirituel de Maître Okuyama[…] Je commence en septembre 1977. Et je voulais un diplôme dans la santé ; j’aurai voulu être médecin mais les études me paraissaient trop longues… donc l’idée de faire kiné était un bon choix. On soigne aussi avec les mains. Donc je commence en parallèle mes études de kiné et de shiatsu.
ADN : Ah, tu as commencé ces études en même temps !
BB : Souvent les gens me disent, comment tu en es venu au shiatsu ? Je suis venu concomitamment au shiatsu et à la kiné. C’était la même énergie, le même souffle qui venait à moi.
Après j’entends que derrière le shiatsu il y a les références à la médecine chinoise. Dès 1978, je vois un professeur en médecine chinoise, puis en 1979 un autre, puis en 2000 un autre… j’ai suivi 4 ou 5 enseignements différents. Fort de ça, je continue et je me dis je vais m’installer. Et l’un de mes amis de promo en kiné m’invite à aller au Japon dans l’école de Maître Okuyama où il s'est rendu également quelques temps avant. Il insiste en me disant que je dois absolument aller au Japon avant de m’installer comme shiatsushi. Je pars au Printemps 1981 et je reste jusqu’en été…
ADN : Et c’est parti !
BB : C'est parti (mon kiki) [rires]
ADN : Concernant ce séjour au Japon, aux sources du shiatsu, peux-tu nous en dire un peu plus avec cette rencontre avec Okuyama ce maitre japonais, fondateur du style appelé Koho Shiatsu ?
BB : Oui, c’était une belle école. Alors Ryu en japonais (style, courant) était Hakko Ryu (8ème lumière) le courant de la huitième lumière. Le maître était très taoïste, proche de Maître Ueshiba (fondateur de l'Aikido), avec des idées limite chamaniques omnibulé par la 8ème lumière qui est l’ultraviolet, ultra puissante et non visible. Il demandait à ses élèves de « travailler » avec cette force-là… Le violet a la connotation spirituelle, elle se situe dans les hautes sphères de l’homme. LE ton était alors donné. L’école était très étonnante avec à la fois les notions des kamis, la présence du shintô. Il m’a fallu du temps, d’ailleurs je n’ai pas compris, je me demandais où j’étais tombé, et cela dès le 1er jour ! Il fallait faire des expériences à tout niveau pour bien montrer qu’on était un homme : il fallait boire par exemple […] J’ai été très impressionné par le décor. La maison de Maître Okuyama, notable très riche, était située à Omiya.
ADN : Ah oui, Omiya, au Nord de Tokyo ?
BB : Oui, environ 300 000 habitants à 80 km de Tokyo à peu près. La maison était énorme, avec un dojo magnifique au rez-de-chaussée, des beaux tapis de paille, des calligraphies sur les murs, des katanas accrochés, des tambours. Au 1er étage il y avait l'appartement du maître, avec cuisine, où il vivait avec sa femme et son fils, lui aussi avec sa femme et ses 2 enfants. […] Un enfant handicapé passait par-là et parfois voulait t’embrasser ! C’était une atmosphère très, très étrange, c'était très surprenant. Et enfin un dernier étage pour les visiteurs. Chaque étage faisait environ 150 m2. C’était énorme ! Avec une salle commune avec les futons à l’intérieur des placards et où tout le monde vivait ensemble, et en même temps salle de cérémonie. La maison Okuyama était une maison de tradition japonaise où il y avait de la vie, du folklore…c’était exceptionnel.
ADN : Tu étais entièrement immergé !
BB : Complétement immergé dans un Japon où malgré le décor moderne on avait l’impression de vivre au 19ème siècle ! Habillé à la « japonaise » à l'ancienne. A l’intérieur du dojo, il y avait le dispensaire, les gens venaient et rentraient, il n’y avait pas de rendez-vous, un peu comme chez le coiffeur. Il y avait 2 tables basses sur lesquelles on pratiquait toute la journée, de 8h du matin jusqu’à 18h. Ensuite le temps du repas puis entraînement aux arts martiaux tous les soirs.
ADN : C’était un planning intense quand même…
BB : Intense !
ADN : Et par rapport au style Koho Shiatsu, a-t-il des spécificités ? Quelles sont les manoeuvres majeures ?
BB : Déjà Koho cela veut dire « impérial », « la noble méthode », cela veut tout dire ! C'est un shiatsu incisif, très pénétrant et surtout très rythmé. Ci-bien que j’ai gardé cela en enlevant la patte un peu dure des pratiquants d’arts martiaux japonais mais j’ai gardé le rythme. Je l’ai même accentué étant moi-même musicien depuis mon plus jeune âge, à partir du protocole tel qu’il est enseigné par Okuyama Sensei et en rajoutant une grande précision de rythme, de passage de points pour que cela devienne une chorégraphie. C'est ainsi qu’il était enseigné mais sans le dire. On disait ouah c’est beau à voir, on sentait le Chi circulait mais moi je me suis attaché à la chorégraphier afin de l’enseigner, de le rendre transmissible. Et puis parce que les élèves disaient combien on fait de points là ? Et est-ce qu’il faut le répéter ? Je me suis dit il faut le structurer. Maintenant c’est très structuré. Et aussi parce que je suis kiné…à la fois un bon bagage de musicien, chant, guitare, percussion, c’était cher à mon cœur de faire un shiatsu avec de la musicalité. Les élèves le savent, je dis on fait le shiatsu en triolet de croches, 1-2-3, 2-2-3, 3-2-3, 4-2-3, 5 point d’orgue et on reste. Quand le mouvement de la main s’arrête, le mouvement du Chi continue. Après Mozart c’est toujours du Mozart…
Personnellement, je l’ai codifié, musicalement parlant avec la précision anatomique.
Au Japon, c’était très rythmé, très pénétrant, très incisif, il n’y avait aucune histoire d’écoute.
ADN : Ah oui ? Pas d’écoute ?
BB : Pas d’écoute, aucune écoute ! Le mot écoute « pfff ». C’est : tu prends le pouls (prise de pouls radial comme en médecine chinoise) […] Il n'y a pas de palpation des zones du ventre. Le patient annonçait son besoin et le praticien y allait !
ADN : Et donc par rapport à cette musicalité, c’est quelque chose qui est propre à l’Ecole de Shiatsu Thérapeutique (Bernard est le Directeur de cette école) ?
BB : Oui. Je pense que c’est particulier à l’EST. Il m’est apparu bon de le faire ainsi d’abord pour le praticien lui-même. J’ai l’image du caillou lancé sur l’eau et de voir les ricochets. Quand tu as quelqu'un de malade, j’ai coutume de dire qu'avec une pratique intensive il faut pouvoir tenir le coup physiquement ; donc la musicalité, la rythmicité pour le praticien cela aide à ne pas tomber dans les sphères du malade. Pouvoir rester en contact mais aussi sentir tout en avançant et en gardant la vitalité. Quelqu’un de malade a perdu sa vitalité d’une certaine manière, il a perdu son équilibre. Donc la rythmicité est le garant de cet équilibre et de la bonne santé, de remettre en santé.
ADN : Cela s’apparente aux différents rythmes Yang, Yin, rapides, lents…
BB : Voilà c’est cela, exactement…Il y a une musicothérapie chinoise.
ADN : On connait la musicothérapie en Occident mais chinoise ?
BB : Mais il y a aussi la musicothérapie chinoise. Pas mal ? Tu peux tonifier ou disperser n’importe quel organe en n’importe quelle saison. […] Et suivant la saison cela change de musique.
ADN : C’est intéressant [rires]
BB : […]
ADN : Bernard, tu es un homme très actif, tu as écrit plusieurs ouvrages dont le Vade Mecum, la profession libérale sur Paris, tu es enseignant et directeur de l’Ecole de Shiatsu Thérapeutique. Elle compte combien d’élèves cette école ?
BB : Ecoute, c’est une grosse école. J’ai commencé petit, dans ce cabinet que tu vois, depuis plus de 22 ans et maintenant il y a des promotions sur les 4 ans de 250-270 élèves. Cela demande beaucoup de travail. Chaque année j’ai entre 70 et 80 nouveaux élèves, c’est beaucoup. Je pense que les livres y sont pour quelque chose, quand on écrit un livre, on est connu, c’est une carte de visite. Les gens sentent que j’aime beaucoup le shiatsu. Je suis tombé dans la marmite quand j’étais petit. Je dis souvent, je n’ai jamais fait un autre métier, je n’ai jamais eu un autre métier que le shiatsu ! J’ai toujours gagné ma vie avec le shiatsu. Aujourd’hui, j’en suis à ma 42ème année de pratique, donc on peut dire j’ai vu des milliers et des milliers de personnes. Les gens sentent l’ancienneté, l’expérience. Maintenant il y a aussi beaucoup d’anciens élèves qui ont monté eux-mêmes leur école.
ADN : Par rapport à ton activité en libéral, est-ce que tu as une clientèle en particulier ?
BB : Non je prends le tout-venant. Je suis un peu obligé de me calmer car j’ai 64 ans mais j’ai encore une grosse activité avec environ 40 patients par semaine (mais c’est presque 2 fois moins qu’avant !). Plus l’activité de l’école.
ADN : Il faut être en forme ! Le shiatsu demande de l’énergie.
BB : Et j’ai aussi les autres associations comme l’AIST, l’UFPST !!
ADN : Oui justement, je sais que tu es aussi actif dans l’Association Internationale de Shiatsu Traditionnel. Quel est son rôle ?
BB : Faire rayonner le shiatsu à l’étranger.
ADN : L’AIST a une mission de solidarité et d’humanitaire ?
BB : C’est cela. En France, on travaille avec 8 hôpitaux parisiens et on en refuse car on ne peut pas faire plus. On donne entre 5000 et 6000 shiatsus par an, rien que l’école ! On signe des conventions, il faut aller rencontrer les directeur d’hôpitaux, il faut dire ce que l’on fait, qui fait, qui est responsable, quelle salle on va prendre, à quelle heure on fait, signer des contrats d’assurance. C’est du boulot !!
ADN : Un gros boulot ! Et avec les hôpitaux, vous avez un certain retour d’expérience ?
BB : 15 ans environ...
ADN : 15 ans en France, ce n’est pas rien !
BB : Je pense que nous avons été dans les premiers, les précurseurs.
ADN : Afin de valoriser le shiatsu, on parle de plus en plus de faire des passerelles avec le monde médical.
BB : Le fait d’être kiné m’a peut-être facilité l’accès au monde médical, les chefs de service ont été « rassurés ». On parle le même jargon anatomique. Cela demande du temps, il y a des infirmières qui font du shiatsu. On pratique beaucoup sur le personnel soignant. On est aussi depuis 5 ans au pavillon des enfants dans le service du Professeur Cohen, à l'hôpital Cochin. Le shiatsu est devenu incontournable dans ce service mais aussi d'autres avec des adolescents par exemple. [...] Tous les médecins, les psychologues, les éducateurs spécialisés sont d’accord. Le shiatsu est rentré et ils ne peuvent plus s'en passer ! Ils en reçoivent eux aussi.
ADN : On peut connaître ta vision sur le shiatsu en France ? Est-ce qu'il y des perspectives d’évolution à ton avis ?
BB : Il y a ce fameux SPS (Syndicat Professionnel en Shiatsu) qui travaille bien aussi, mais pour des raisons personnelles comme il y a eu des distensions avec la FFST, on a alors créé notre propre groupe l’UFPST (Union Française des Professionnels en Shiatsu Thérapeutique). Pour moi, le shiatsu est bien parti en France. La société est « malade », la société est violente. Le shiatsu a un rôle beaucoup plus large à jouer que celle d'une méthode manuelle. Et cela je l’ai toujours senti. Il a un rôle de lien, pratiquement de lien social. Le shiatsu est un outil de réparation à tout niveau, comme outil d'union, comme outil de non séparation : physique, psychique, social, spirituel. C'est ce que l'on fait à l'étranger comme la première mission au Pérou où les choses ont bien évoluées depuis.
ADN : Un dernier petit mot ? [rires]
BB : Le shiatsu est une joie, autant que pour celui qui le donne que pour celui qui le reçoit. Je rejoins ce que dis l'école Namikoshi à propos de "l'amour de la mère". J'ai toujours pensé à cela. Et je le dis aux élèves : n'oubliez pas vous êtes comme une maman avec votre bébé, prenez les gens en main avec ce sentiment maternel. C'est la plus belle chose du shiatsu.
ADN : Merci beaucoup Bernard pour cette interview.
BB : Merci à toi.
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